Teushirt naît lors d'une soirée.
Robin doit y jouer un dj-set féministe, et pour l'occasion, il se fabrique un haut un peu spécial : à partir d'un vieux tshirt et de chutes de tissus, il coud en patchwork le premier teushirt. Lors de la dite soirée, il est marqué par deux réactions : "j'en veux un !" et "t'as un vagin sur ton tshirt ?". Elles lui font prendre conscience que d'un, l'anatomie féminine, systématiquement cachée dans l'espace public, est l'objet d'un certain obscurantisme. On voit à peu près comment c'est fait un sexe féminin mais ça reste un peu flou : les vulves sont souvent prises pour des vagins. Et de deux, que certaines personnes sont prêtes à arborer fièrement ce motif sur leurs vêtements et, en reproduisant ainsi l'image du sexe féminin dans l'espace public, à contrebalancer la sur-représentation de l'appareil génital masculin dans nos quotidiens. Avec Alexandra, couturière, ils.elles décident de développer le concept avec les objectifs suivants : revaloriser des vêtements plutôt que de fabriquer neuf, diffuser l'image du sexe féminin et aider les associations agissant pour la connaissance, l'épanouissement et la santé gynécologique.
Vulve ou vagin ?
Les nouveaux médias du XXème siècle ont vu les représentations sexuelles envahir leurs magazines, télévisions et autres internets, pour le meilleur et pour le pire. Que ce soit sur les murs taggés ou dans la pornograhie traditionnelle, le sexe masculin a pénétré l'imaginaire collectif. Bien que discutablement limité au couple phallus-testiculus, le monde entier sait à quoi ressemble l'appareil reproducteur de l'homme mâle.
De l'autre côté, le tabou entourant le sexe féminin n'a pas aidé à sa vulgarisation. Le clitoris, grand absent de l'anatomie féminine, se refait une cure de jeunesse à la fin des 90s, lorsque des chercheuses découvrent son vrai visage. Il faut attendre 2017 pour que les manuels de SVT français incluent le clitoris dans leurs planches anatomiques.
En dehors du clitoris, le commun des mortels que nous sommes a encore du mal à comprendre comment petites et grandes lèvres, vagin et autre urêtre s'articulent. Et pour apprendre, rien de tel que de montrer. Les teushirts, en schématisant, ou mieux, en stylisant le sexe féminin, vulgarisent l'anatomie tout en la rendant jolie. Mais attention, on ne cache rien ! Tout est là, promis.
Un vieux tshirt tout neuf
En 2019, la mode est la deuxième industrie la plus polluante juste après l'industrie pétro-chimique. Emissions de CO2, utilisation intensive d'eau douce, pollutions des sols, conditions de travail inhumaines... L'industrie textile collectionne les tares. La faute au neuf ? Une étude britannique estime que tous les ans, chaque anglais met en moyenne 30kg de textile à la benne.
A La Petite Rockette avec qui nous travaillons dans le 11ème arrondissement de Paris, entre 1 et 2 tonnes de dons de vêtements arrivent chaque jour. Parmis cette montagne de textile, de nombreux tshirts unis sont en très bon état, et des tas de chutes de tissus divers et variés sont sélectionnés. Les teushirts sont fabriqués entièrement à partir de ces matériaux récupérés. Il évitent la production de vêtements neufs et donnent une nouvelle vie à du textile mis sur la touche.
Business is business ?
Teushirt est une organisation non lucrative. La production est assurée par Alexandra et Robin de manière bénévole, sur commande, à leur rythme.
La volonté d'avoir un plus grand impact et de mettre plus de teuchs dans l'espace public nous pousse à vouloir produire plus, mais gare au croissantisme. Elargir la production ne doit jamais se faire au détriment de nos valeurs : écologie sans concession, travail pour le bien-être et solidarité bienveillante.
Une alternative à l'industrialisation ? Faire soi-même. Régulièrement, des ateliers sont organisés à la Trockette, le bar associatif de la Petite Rockette. Grâce à ces ateliers encadrés par Alexandra et Robin, tout le monde peut concevoir et fabriquer son propre teushirt. Le bonus : repartir avec des bases de couture.
Incubateur du turfu
Ce projet ne pourrait avoir vu le jour sans La Petite Rockette. Depuis 2005, cette ressourcerie du 11ème arrondissement collecte, trie, revalorise et revend à des prix solidaires des tas de choses, dont des vêtements. Les matériaux pour les teushirts sont sélectionnés sur place, et la Petite Rockette dispose de salles et de matériel de couture que nous pouvons utiliser pour produire les modèles et organiser les ateliers. Cette chaîne de production fait bouger les lignes : elle montre le rôle crucial des ressourceries en zone urbaine. Alternatives à l'incinérateur ou la décharge, elles deviennent via leurs ressources et leurs modèles de fonctionnement modernes et solidaires des pôles de créativité. Les teushirts en sont la preuve.
A qui va l'argent ?
Le prix de vente des teushirts est fixé au cas par cas, selon les moyens des acheteurs et de leur volonté d'aider les associations partenaires.
Car oui, une fois les frais de production remboursés, l'intégralité des bénéfices est reversée aux associations que l'on soutient. Ces associations aident les femmes à s'informer et s'orienter dans leur santé sexuelle, fournissent des soins pour les prostitués, luttent contre les mutilations féminines, guident les femmes dans la découverte de leur anatomie... Plus d'infos ici.
Un site low-tech
Aujourd'hui, vendre des vêtements, ça commence toujours par Instagram, et ça finit toujours par des sites web très energivores : animations dynamiques, photos en haute qualité, analyse des données utilisateurs... Le traffic internet augmente de 50% par an, et contribue aujourd'hui à 12% de l'énergie consommée au niveau mondial. Personne ou presque ne sait comment un smartphone ou même internet fonctionnent, et les GAFAS orchestrent sans vergogne une "profilation" qui ferait frémir Orwell.
Bref, à l'heure où la mode s'émerveille devant l'essayage de vêtement en ligne via l'usage de la vidéo et de l'intelligence artificielle, nous voulons montrer qu'un autre internet est possible. Un internet low-tech, c'est à dire durable, accessible et adapté.
C'est pourquoi nous limitons l'usage d'Instagram à la communication évenentielle, et que nous avons construit un site web low-tech. Très léger, il est environ 150 fois moins lourd qu'un site de mode traditionnel. Il ne comporte pas d'affichage dynamique, très gourmand en ressource, et peut être consulté sur des vieilles machines, sans ADSL. Très facile à construire, il se base sur le tutoriel mis en open source par low-tech magazine. Adapté, il informe sur le projet et présente les modèles de teushirt via un design minimaliste et efficace. Plus d'infos ici.